W ou le souvenir d’enfance de Georges Perec

Age : 15 ans et +
Éditeur :  Gallimard (1975)

Note : 4 out of 5 stars

Deux textes. Le premier est une fiction qui met en scène une société imaginaire, W, régit par l’idéal olympique. Le deuxième commence par “Je n’ai pas de souvenir d’enfance” et est le récit de l’enfance de Georges Perec. En apparence, il n’y a aucun lien, mais peut-être faut-il chercher entre les lignes pour le découvrir…

J’ai envie de reprendre les explications mêmes de Georges Perec sur W ou le souvenir d’enfance pour caractériser ce livre qui n’est pas un parmi d’autres.
L’auteur met en scène deux récits dont , comme il le dit, “il pourrait sembler qu’ils n’ont rien en commun” mais alors se serait oublier le sens caché et la portée de ce roman atypique qui a marqué l’histoire littéraire de la seconde moitié du XXème siècle.
En réalité, les deux récits “sont inextricablement enchevêtrés, comme si aucun des deux ne pouvaient exister seul“. Ils se complètent, se répondent, s’éclairent respectivement, l’un comblant les lacunes et les trous de l’autre.
W, est une histoire purement imaginaire au premier abord. Elle commence avec le récit à la première personne de Gaspard Winckler et puis elle s’arrête brusquement, marquée par trois points de suspension qui nous glacent.
Lorsque le récit de W reprend, dans la seconde partie du livre, c’est une description qui prend place : peu à peu le lecteur entre dans la société W, dans cette île de la Terre de Feu, où l’ordre, la discipline et le sport olympique sont les valeurs placées au dessus de tout.
W paraît d’abord comme une cité idéale, bien réglée, mais très vite les premiers doutes s’installent jusqu’à ce que la description devienne de plus en plus insoutenable à lire. Le texte, écrit par Perec, selon ses dires, à douze – quinze ans, est finalement le reflet fictionnel d’une réalité terrible : les camps de concentration. Au départ le rapprochement n’est pas vraiment visible puis de plus en plus on sent bien que c’est de ça qu’il est question, jusqu’aux dernières lignes, qui vous glacent le sang. Cette histoire là, celle de W, ne peut pas nous laisser indifférents. C’est le récit le plus marquant dans W ou le souvenir d’enfance.
Le souvenir d’enfance, lui, commence par un dénie : “Je n’ai pas de souvenir d’enfance” affirme Georges Perec. Pourtant au fil d’images retrouvées, de descriptions de photographies, de lieux, de souvenirs fragmentaires de l’école, de la famille, Georges Perec livre le récit fragmentaire de son enfance. Une autobiographie à la fois vraie et fausse, où les souvenirs de l’enfant ne sont jamais certains, parfois même empruntés à d’autres. Ce sont des bribes, des hypothèses éparses, des anecdotes maigres qui au fond, font plus vraies que les récits bien structurés de Jules Vallès, de Jean-Jacques Rousseau, d’Hervé Bazin. Georges Perec ne cache pas la difficulté d’écrire sur une enfance devenue lointaine, marquée par la guerre et par le traumatisme.
W ou le souvenir d’enfance présente donc deux textes radicalement différents sur le plan de l’écriture. W pourrait se caractériser par un récit qui au court de la lecture devient la description ethnologique, sans concession, sans sentiment mais avec une pointe d’ironie, sur une société imaginaire. Le second, Le souvenir d’enfance, est un assemblage éparse de souvenirs qui s’enchaînent avec une demie cohérence. L’autobiographie s’achève sur une explication de l’écriture de W, en lien avec le traumatisme des camps de concentration où sa mère mourut.
Quoi qu’il en soit, à leur manière, les deux récits sont forts et on ne peut pas rester de marbre face à une telle lecture dont l’intensité dramatique est de plus en plus élevée, comme une tragédie classique de Racine où l’acmé se situe dans les dernières phrases, dans les derniers mots. Bien écrit, W ou le souvenir d’enfance est un renouvellement original de l’autobiographie, qui se sert de la fiction pour traduire ce qu’aucune réalité humaine n’aurait pu imaginer et qui pourtant, est bel et bien arrivé. Ne pouvant pas l’écrire frontalement, Georges Perec utilise la distance de la fiction pour faire passer le traumatisme qui a marqué une partie de son enfance, de sa vie.

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